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"EN bouche", "EN salle", "EN cuisine"... Et le pire : le "merci en tout cas" !

Par caroline • savoir s'exprimer ! • Jeudi 20/09/2012 • Version imprimable

Il y a un truc que j'ai décidé : désormais, je fous (presque) totalement la paix aux gens dans leur façon de s'exprimer.

J'ai passé vingt ans de métier à leur redresser les torts, au point de me faire traiter de "vieille institutrice mal baisée", dans la marge du manuscrit en regard de mes rectifications, par un auteur qui était pourtant mon ami ! Scandaleux. (Ça lui a coûté un bon déjeuner pour que je lui pardonne. Miam !)

Dorénavant, je ne souligne les imperfections de langage que lorsqu'elles proviennent de ma délicieuse fille Camille, car je suis censée être son éducatrice – dans ce cas, convenons-en, je ne peux me soustraire à mon devoir maternel.




Cela dit, pourquoi ne pas m'ouvrir à vous de mes répulsions langagières les plus communes ?

Je citerai en premier lieu les plus sinistres... :

• "je me suis faite coiffer", et ensuite je me suis faite maquiller, et puis je me suis faite embrasser par tous les garçons du village",
—> au lieu de ce qu'elle aurait dû dire : "je me suis fait coiffer, je me suis fait embrasser, ils se sont ensuite fait expliquer qu'ils devaient aussi me laisser respirer entre leurs baisers..."
"Fait" est invariable, vu que le verbe faire suivi d'un infinitif ne s'accorde pas (ça a l'air juste emmouscaillant pour le plaisir, ces futilités ? Mais au contraire, quand on s'y attache, on voit que ces règles sont parfaitement logiques : et que les respecter permet à vos lecteurs de vous lire vite et bien, sans se tromper sur le sens).

- "Kess t'as fait à manger ?" (NB - Bon, Camille, je souffre mais je t'aime quand même !),
—> au lieu de "Qu'as-tu préparé pour le déjeuner ?" ou, encore admissible : "T'as fait quoi pour le déjeuner ?" (cela, le "faire à manger" ou "aller manger" ou "t'aurais du fric à me filer pour manger ?", ça me choque parce qu'on mange quelque chose, c'est plus élégant que de manger tout court, comme un animal : nous autres humains, nous avons la chance de manger une certaine variété d'aliments, ce qui justifie un complément d'objet direct [qu'il s'agisse d'un MacDo, d'une côte de boeuf ou d'un brocoli, peu importe] ; par conséquent, quand on ne fait pas mention d'un menu ou d'un aliment particulier, on ne "mange" pas : on dîne, on soupe (surtout les octogénaires coutumiers des sorties au théâtre ou au concert le soir, remarquez ; il est vrai que pour les plus jeunes, "souper" devient rare de nos jours, on "boit un coup" ou on "se taperait bien un petit truc", plutôt), mais encore on peut prendre un petit-déjeuner, un encas, un casse-dalle, voire faire un festin lorsqu'on est bien loti, bref, il ne manque pas de mots pour désigner un repas, quelle que soit sa forme ou le moment de la journée auquel il est pris...
 

Mais attention !
Un des derniers trucs qui me "posent problème" — même si j'ai fait récemment des progrès "par rapport" à mon problème [là, il vaudrait mieux : "en ce qui concerne", "concernant mon problème", ce qui est déjà bien assez laid et lourd en soi sans en rajouter par un mauvais emploi de "par rapport"] —, c'est le "EN" :

- "C'est doux/savoureux/croquant EN bouche"... Au lieu de "dans la bouche", lequel est du reste, à mon avis, moche quoique correct, et relativement inutile, non ? Doit-on vraiment préciser l'orifice par lequel on savoure des frites ou une sauce ?

- "Je me suis mise EN cuisine à 14 heures pour préparer le dîner" (ou encore pire : "Je me suis mise en cuisine pour faire à manger"), au lieu de "j'ai commencé à préparer le dîner dès 14 heures", car pourquoi préciser que c'était dans la cuisine ?
Mais bon, soit. Si on y tient vraiment, on devrait
alors dire "dans la cuisine", car la locution "en cuisine" signifie "en matière de cuisine", "en termes de cuisine", certainement pas "dans la pièce dédiée aux préparatifs culinaires".
NB - Merci en passant à la chaîne M6, car son émission "Un dîner presque parfait" nous offre un florilège de trucs à abattre. ;-)

- "Je vais EN salle" (si on va par là, alors pourquoi pas "EN salon" au lieu de "au salon" ? "
EN chambre" au lieu de "dans ma chambre" ? "EN baignoire" plutôt que "dans notre superbe jacuzzi" ? "EN WC" plutôt que "au petit coin" ou "sur le trône" ?).


Mais le truc le plus hérissant pour moi : c'est, en guise de conclusion d'un entretien ou d'une entrevue réussie, le fameux : "En tout cas, merci d'être venu !"

Remarque qui s'adresse principalement aux journalistes, notamment à Elise Lucet, Laurent Delahousse, David Pujadas, qui remercient très habituellement leurs invités de fin de journal par cette locution troublante — puisque, utilisée de la façon la plus générale, elle est censée minorer les dégâts d'un événement, eu égard aux avantages constatables de celui-ci.

Doit-on vraiment rappeler ceci ? Le "en tout cas, merci d'être venu", lorsque vous l'adressez à quelqu'un dont vous prenez congé après votre rencontre, cela implique diverses hypothèses peu glorieuses pour votre invité(e) ou convive ; par exemple, entre autres possibilités, surtout quand ça s'adresse à un artiste venu vanter son dernier opus sur le plateau de votre journal télévisé :
- "Bon, ben voilà, c'était un moment pénible pour tous les deux, mais merci quand même pour le dérangement",
- "Ne nous cachons pas que vous n'avez aucune chance d'être entendu(e) dans votre plaidoyer, écouté(e) pour l'intérêt de votre propos, mais en tout cas merci d'avoir tenté" ;
... ou des choses pires encore :
- "C'est vrai que vous avez bafouillé / raté votre prestation / vous êtes présenté sous votre plus mauvais jour / étiez maquillé comme un(e) cochon(ne), disons même que vous avez été ridicule. Mais en tout cas vous avez ESSAYÉ, et cette démarche est méritoire quoi qu'il en soit, soyez-en remercié(e)"...

Ça, vraiment, ce "en tout cas, merci d'être venu", j'aimerais bien qu'ils arrêtent. Car (sans qu'ils le mesurent, manifestement) c'est une formule en réalité débile, inadaptée, peu respectueuse.

Si j'était j'étais (pardon pour la faute initiale, merci à Foats pour sa remarque, arrgh... mais je ne suis pas à l'abri moi), si j'étais, disais-je, leur rédacteur en chef, à ces journalistes-là, je leur demanderais d'être vigilants sur ces choses-là. De veiller à être plus fluides, plus concis, plus précis.

Je songe à créer une agence de comm' pour compléter leur formation. Pour faire avec eux des debriefings de leurs journaux. Manifestement, c'est une pratique qui n'a pas cours, alors que ce serait certainement un des ingrédients à inclure dans la recette des journaux du PAF pour qu'ils soient plus chouettes que la moyenne.


Bon je m'arrête là pour aujourd'hui !

Je vous garde plein d'autres mochetés d'expression en stock pour une prochaine fois : heureusement, j'en ai long comme le bras dans cette rubrique ! :-)

[edit : je signale respectueusement que ma douce Elise Lucet – que j'aime beaucoup – nous l'a sorti deux fois aujourd'hui, oui oui ce vendredi 21 septembre, dans son journal de 13 heures sur France 2. Vraiment trop fort : deux fois, et à deux personnes différentes, merci pour elles.]
[edit bis : elle ne le dit plus jamais, depuis quelque temps. Désolée, cette locution est désormais culte, puisqu'elle appartient au passé... ;-)]


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Commentaires

par Foats le Vendredi 21/09/2012 à 09:03

Ça craint le : "si j'etaiT leur rédacteur en chef...." dans un article pareil!
Ha ha , je suis d'accord "en tout cas" avec vous.
J'attends impatiemment la suite....


Re: par caroline le Vendredi 21/09/2012 à 11:25

Morte de rire, là. Je corrige ! Merci !!!

PS - Et re-morte de rire en vous relisant. Ah, c'est bon d'être comprise.


par Stéphanie le Vendredi 21/09/2012 à 09:18

J'aurais clairement besoin d'un stage dans cette future agence de com'... Et puis, c'est triste mais je n'ai pas l'ombre d'une "vieille institutrice mal baisée" dans mon entourage et ça ne me ferait pas de mal !


Re: par caroline le Vendredi 21/09/2012 à 11:32

Ne dis pas ça ! Je fais partie de ton entourage ! Tu me questionnes en cas de doute, je te réponds tout de suite. :-)))


par Val le Vendredi 21/09/2012 à 10:16

Bonjour Caroline,
Est-correct de dire, comme je l'ai encore entendu hier à la télé : " une trentaine d'homme ONT ETE ENVOYES sur place " ? Une copine prof de français le dit que oui, mais ça me choque à chaque fois...


par Val le Vendredi 21/09/2012 à 10:17

Pardon : " est-CE correct ..."


Re: par caroline le Vendredi 21/09/2012 à 11:39

Quand ça choque, c'est qu'il y a un souci. Et de fait, dans la langue française, il y a des cas où on a le choix, et où la réponse est subtile.

Doit-on parler de la douzaine d'oeufs brisés ou brisée, pfff... c'est comme on sent... C'est davantage dans l'intention, dans la signification, qu'il faut rechercher le meilleur accord.

Mais après tout, moi je dis : si ça gêne, il vaut mieux trouver une autre tournure. J'ai pété tous les oeufs de ma boîte de douze, ça marche aussi. ;-)


Mais tu n'es pas institutrice ? par patchaz le Dimanche 23/09/2012 à 02:17

 Au niveau du vécu, cet article m'interpelle.


Re: Mais tu n'es pas institutrice ? par caroline le Dimanche 23/09/2012 à 19:16

Je vais te faire très vite l'article que je t'ai promis pour la Fureur des vivres !
Quand je t'aurai dit ce que je pense des nouvelles tendances culinaires, tu verras que j'en suis une, mais alors une vraie.

[edit : et t'es vraiment pénible, avec tes blagues que je ne comprends que 3 siècles après...]


Ah mais ! par Angele2b le Vendredi 31/05/2013 à 18:57

 Je ne connaissais pas ta « Gazette » ! J'en étais restée à « Culinotests »... Que de temps perdu !

Et que trouvé-je ? Un article sur la langue française. Je me régale. Merci, merci, merci.  
Cordialement,



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